ASSOCIATION FRIOUL NOUVEAU REGARD

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L'ÉCOLE DES ÉAM DU FRIOUL

LES CONTRIBUTIONS "SOUVENIRS"


Yves OLLIVIER; Promo 1958
Mail: yves.ollivier@orange.fr


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Contribution de Yves Ollivier


 

Tout d'abord, félicitations de vouloir faire revivre cette école qui a formé bon nombre d'apprentis mousses et futurs marins.

Ah, Le Frioul ! J'avais à peine 14ans quand j'ai foulé aux pieds les premières caillasses de l'EAM, la terre de ma campagne natale, entre Hyères et Toulon, collait encore à mes godasses. Dur, dur de devenir marin... Dur,dur de vivre sur ces cailloux. Comme pour les tranchées de 14/18, le meilleur souvenir est probablement le jour de la quille, et celui de notre jeunesse passée...

Il est certain que le caillou ne laisse pas indifférent ceux qui y ont vécu la formation de mousse de la marine marchande. Rapports de force entre les apprentis, entre apprentis et formateurs en faisaient un lieu de conflit, mais aussi un lieu où se forgeaient de fortes amitiés, par la solidarité des plus faibles ou l’indispensable cohésion nécessaire à l’accomplissement de certaines tâches comme la navigation à bord des canots bretons.

Ce qui est formidable c’est surtout d’en être sorti avec la volonté de faire mieux !

Mon parcours personnel est une seconde année machine à l’EAM de la Trémissinière è Nantes puis, un brevet d’OM3 à ENMM de Nantes après 5ans de navigation à la Cie Fraissinet et la Nouvelle Cie de Paquebots, sur le Foch et Général Mangin. Puis ce sera la PST (Promotion Supérieure du Travail) où j'ai poursuivi mes études à la faculté des sciences de Grenoble (DEST d’électrotechnique)

Je peux, si vous le souhaitez, collaborer, sur votre site et à la mémoire de l’EAM du Frioul en y apportant mon vécu et mes souvenirs probablement très sélectifs, et peut-être un peu flous, d’un an de séjour.

Bien Cordialement       Yves Ollivier

ci-dessus

Ci-dessous  impressions d'une année au Frioul

Précautions d’usage : Comme toute extraction sortie du contexte risque de prêter à confusion, les jugements de valeur que je porte sont ceux qui prévalaient à l’époque où je les ai vécus, ils ne sont probablement pas le reflet de mon opinion actuelle.

Ma promotion est celle de 57/58, mes souvenirs de cette époque sont assez flous, c'est le site des îles de Pomègues et de Ratonneau et mon ressenti sentimental qui restent les plus vivaces dans ma mémoire. Je me souviens très bien des visages des formateurs et de certain de mes compagnons mais, j'ai du mal à mettre un mon sur ces visages car nos routes ne ce sont plus croisées.

L’EAM des îles du Frioul

 

Le Frioul est un archipel composé de quatre îles : Ratonneau, Pomègues, If et Tiboulen du Frioul (en provençal, petite île). L’école maritime se situait dans l’île Ratonneau sur un promontoire entouré d’un parapet juste au-dessus du port. Un port insolite, il utilise les deux îles Ratonneau et Pomègues, reliées par une large digue, une jetée barre l’autre coté de la darse, en prenant appui sur une construction en forme d’étrave de navire qui sert de base aux pilotes du port de Marseille.

On accédait à l’école, par un sentier grimpant du débarcadère, sur une centaine de mètres, contournant par la gauche un blockhaus qui contrôlait d’un côté le port et de la l’autre une calanque s’offrant au grand large vers l’Ouest. Une imposante porte, au centre d’un bâtiment, s’ouvrait à droite et à gauche sur deux vastes dortoirs, celui de gauche servait également de réfectoire. Environ cent cinquante apprentis marins, au début de la cession, occupaient ces lieux, soixante dix au mieux en fin d’année scolaire. Beaucoup d’apprentis étaient remerciés pour leur insuffisance de résultats, d’autres pour leur comportement asocial et enfin il y avait ceux qui quittaient volontairement ce lieu difficile à vivre. Le premier étage abritait, outre une salle de cours, les locaux d’habitation des formateurs. Les dortoirs, équipés de hamacs, pliés en deux tous les matins, se rangeaient sur notre caisson personnel, d’un mètre de haut environ sur cinquante centimètres de large et de profondeur, munis sur le dessus d’une rambarde constituée de deux lattes superposées, pour derrière y loger le hamac. Un étrange couchage en vérité, confectionnés avec ces lourdes toiles à voiles en coton écru de deux mètres de long sur un mètre de large ; en haut et en bas, deux grands ourlets, d’une dizaine de centimètres de large, portaient une dizaine de gros œillets en laiton sertis dans la toile ; à l’intérieur, était cousue une poche de toile à sommier à large bandes bleues ou grises, dans laquelle se glissait un matelas. Enfin, deux araignées constituées chacune, d’un anneau en acier de 10 cmde diamètre, saisis par épissures, à une extrémité sur l’anneau, sur l’autre à des crochets qui seront frappés sur les œillets, de la longueur de chaque brin dépendra le creux et donc, le confort du couchage ainsi constitué. Pendant l’heure des repas, les tables, jusqu‘alors judicieusement rangées au-dessus de l’allée centrale sur une structure métallique, étaient dressées. Comme sur un navire l’espace était optimisé !

Dans l’île, nous cohabitions avec quelques marins de la Royale, (marine nationale) stationnée assez loin, à l’entrée du port près de la jetée et les gabians (goélands) lorgnant dans nos poubelles. Sur ces rochers calcaires, balayés par les vents et les embruns, aucune végétation n’ose prendre racine. Seuls quelques rares pins d’Alep tordu par le mistral, des oliviers sauvages nains, ainsi qu’une flore méditerranéenne maigrichonne recroquevillée derrière les cailloux et les replis de terrain tentent d’y survivre.

Sur le terre-plein, ceint d’un muret, qui dominait le port d’une dizaine de mètres, flottait fièrement en son centre, en haut d’un mât, l’étendard national ; dans la lourde bâtisse, en pierre de taille érigée sur cette esplanade, la vie s’organisait entre l’envoi des couleurs dès l’aube, et le salut au drapeau au coucher du soleil.

Si en 49 avant JC, Jules César fait jeter l’ancre à ses navires au large des îles du Frioul pour organiser le siège de Marseille, c’est bien parce qu’elles étaient là avant lui, et que pour atteindre le vieux port, il fallait bien passer devant. Depuis l’antiquité, les hommes ont voulu que ces îles jouent un rôle militaire pour la défense de Marseille. - Marseille la Grecque, Marseille la Romaine, Marseille la ville de nulle part et du monde entier, marseillaise avant tout, on n’envahit pas Marseille on s’y fond, alors les îles du Frioul fortifiées … Marseille s’en fou !

Lors de la dernière occupation, les stratèges de l’armée allemande ont bien tenté, par la construction de blockhaus de rivaliser avec les rochers autochtones, d’en faire des places fortes. En 1944 les Américains les anéantirent en les bombardant sans ménagement. De place forte elles étaient devenues un piège infernal, les malheureux soldats allemands ne purent même pas déguerpir car une île c’est entouré d‘eau, et sans les bateaux coulés pendant l’attaque, il n’était pas aisé de s’enfuir… Elles redevinrent très vite ce qu’elles n’avaient jamais cessé d’être, des cailloux entourés d’eau avec des blockhaus, des trous de bombes et d’obus en plus.

Avez-vous remarqué comme la tentation est grande de faire de ces îlots côtiers, des navires immobiles ? Du château d’If que François 1er fit édifier en 1524, aux multiples forts disséminés dans Pomègues et ratonneau, tout était fait pour terrifier l’envahisseur. De fait, constatant que ces cailloux, si bien défendus, n’offraient aucun intérêt ni financier ni stratégique, il passait au large et, débarquait sur la côte, un peu plus loin, pour piller une région plus prospère et moins périlleuse.

Finalement, l’idée la plus sensée, ne fut-elle pas d’en faire un lieu de quarantaine ? C’est ainsi qu’en 1720 la peste s’y arrêta un moment, amenée par un navire venant d’orient « Le Grand saint Antoine »,  juste avant… d’entrer dans Marseille et d’y semer la désolation en décimant la moitié de sa population. La quarantaine fit son chemin dans les esprits, c’est ainsi que l’école d’apprentissage maritime y fut installée après la seconde guerre mondiale, afin de former les marins de la nouvelle flotte marchande du pays.

Ces îles imprègneront mon esprit, elles contribueront vraisemblablement à forger mon caractère, insensibiliseront mes passions, étoufferont au plus profond de moi-même les plus en plus rares foyers de révolte d’adolescent. J’en sortirai cassé avec une seule révélation illustrée par Monsieur de La Fontaine, dans le vieillard et l’âne, tirant cette conclusion :

Sauvez-vous, et me laissez paître 

Notre ennemi, c'est notre Maître.

En rétrécissant mon champ de vision, l’île me permis de focaliser tout juste l’énergie nécessaire, pour faire le petit mieux, qui me sortirait de la pauvreté intellectuelle de ce microcosme. Pour la première fois, je me trouvais confronté à des individus, dont je n’étais pas certain de sortir vainqueur d’un affrontement physique ; alors je m’attachais méthodiquement à développer mon intellect afin de les déprécier différemment. C’est donc délibérément que j’allais me situer ailleurs. Ainsi à la surprise générale, je virais en tête de cette promotion. Je n’en ai pas pour autant tirer la moindre fierté car être, pour un temps, l’un des meilleurs de ceux que je considérais comme médiocres, ne me semblait pas très valorisant. Les compliments ne faisaient pas partis de la culture familiale. Combien de fois ai-je entendu dire par mon grand oncle : – « Au royaume des aveugles les borgnes sont rois ! »  Même le rapporteur du palmarès qui, si je me souviens, devait-être le Directeur adjoint, butta sur mon nom et dut s’y reprendre à deux fois pour me citer, la surprise passée… Je n’avais ni la tête ni le comportement d’un premier de la classe. Le corps enseignent était essentiellement composé d’anciens boscos reconvertis en formateurs, pour cause de handicaps contractés lors de leur carrière active à bord. Le courant entre eux et moi, fusse t-il marin, ne passait pas. Je ne m’intéressais pas à eux, et me le rendaient bien !

L’amour m’avait quitté le jour où j’ai mis les pieds sur l’embarcadère du quai de Belges au bout du vieux port, pour embarquer vers cet épisode de ma vie. Je voyais en chaque individu un rival potentiel, mon hostilité grandissait avec la représentation que je me faisais de sa puissance physique ou morale. - L’ennemi ? C’est lui, c’est le plus fort ! Je n’aurais de cesse de le détruire ou tout au moins, de restreindre son espace vital à la portion congrue, je me devais de faire reconnaître ma force en le démolissant par n’importe quel moyen ; je ressemblais de plus à plus à cette île austère, aride et sèche dans sa partie émergée, sombre et glaciale dans sa partie immergée.

Souvent la nuit tombée, je me glissais hors du hamac, et après y avoir modelé la forme d’un corps, je quittais, par la porte des commodités (portant bien son nom dans ce cas précis), le bâtiment pour partir à la découverte de l’île. Quelle aventure ! J’investis petit à petit les innombrables blockhaus de Ratonneau en commençant par les plus proches du bâtiment, puis élargissant le champ d’action, j’eus vite fait d’en visiter des dizaines jusqu’au bout de l’île. Dans leur départ que l’on suppose précipité, les Allemands, avaient laissé là bon nombre de matériels de guerre : Grenades, balles, mitrailleuses, casques, etc. Je m’ingéniai à récupérer la poudre en enlevant l’ogive des balles, pour l’utiliser plus tard à quelques coups d’éclats, je fomentais déjà un règlement de compte contre ceux qui, régulièrement visitaient mon caisson pour y dérober la nourriture ramenée de ‘terre’ ou celle, mise en réserve les jours fastes ; ne sachant pas trop comment le réaliser, je remis sine die mes noirs desseins. Je récupérais tout de même le phosphore des balles traçantes pour me maquiller le visage afin de jouer les fantômes dans l’obscurité du dortoir. Le résultat de cette farce dépassa mes espérances. Le remue-ménage créé par mon intrusion fantomatique, provoqua un réveil quasi général des dortoirs et du surveillant général… L’éclairage des chambrées fit disparaître aussitôt les traces phosphorescentes de mon visage, minutieusement nettoyé au cas où la lumière viendrait à nouveau à s’éteindre ; soupçonné mais pas pris. L’ensemble des deux dortoirs furent mit au garde à vous au pied du mât sur l’esplanade balayée par un mistral glacial. Je jubilai car mes visiteurs de caisson étaient inévitablement dans le tas. Ça a fait parti de mes menus plaisirs dans ce désert affectif.

La nuit, le calme était total, seul le lent roulement des vagues sur les galets des calanques rompait le silence, parfois une vague plus forte que les autres donnait une impression de vacarme assourdissant. Pas un seul crissement d’insecte pour troubler la sérénité du caillou. Au loin Marseille la modeste s’illuminait de pâles lueurs blanchâtres, et quelquefois, notre Dame de la Garde s’auréolait de jaune-orangé. Du large, ce sont les faisceaux lumineux du phare de Planier qui balayaient alternativement l’île, profitant de son passage pour accrocher aux vaguelettes quelques reflets scintillants.

Mon manège intrigua d’autres insomniaques, nous fûmes bientôt une poignée à prendre le chemin des Blockhaus. Bien que je préférais de loin faire mes conneries tout seul, je fus sensible à la reconnaissance de ces camarades. L’affaire s’éventa, et très vite ; l’autorité maritime mit fin à nos aventures nocturnes avec le cérémonial disciplinaire indispensable pour impressionner l'assistance. Sur l’esplanade au drapeau, les projecteurs s’allumèrent, afin qu’un rassemblement en carré puisse s’opérer dans le minimum de temps et d’y exhiber les quatre couillons qui s’étaient fait prendre. Les sanctions qui en découlèrent furent exemplaires ; ce fut tout d’abord des corvées en tout genre auxquelles, sans trop savoir pourquoi, j’avais jusqu’alors échappé, puis il fallut apprendre à naviguer de nuit, sur les embarcations d’initiation. Nous n’étions plus que quatre pour faire avancer, à la rame, ces pesants canots bretons prévus pour douze rameurs, mais qu’avait donc fait, le bosco instructeur, pour subir cette sanction en même temps que nous ? La question posée, non sans ironie, n’obtint pour toute réponse qu’un grognement inintelligible ponctué par un « deux », nous invitant à donner le coup d’aviron suivant. Pour finir, nous fûmes consigné sur l’île plusieurs week-end à la suite.

Les canots bretons sont de lourdes embarcations d’initiation trapues, de sept à huit mètres de long, pouvant naviguer au choix : à la voile, au moteur ou à rames. De construction bois, à clins, massive, ils étaient équipés de six bancs sur lesquels prenaient place côte à côte deux par deux, douze mousses. Le bosco, quant à lui, se postait face à nous, la barre franche entre les jambes. L’équipage ainsi constitué prenait le nom de « canot » (prononcer le T de canot) En la circonstance il était armé pour naviguer à la rame, le canot se déplaçait lourdement, rythmé par le bruit régulier des pelles d’avirons plongeant dans l’eau noire de la darse et le - « deux… deux » du bosco donnant la cadence. Nous attendions avec impatience l’ordre du « lève rames » qui consistait à laisser filer le canot sur son erre pendant que les avirons étaient relevés au niveau du plat bord, perpendiculaires à la coque la pelle à plat pour ne pas freiner l’embarcation. Cette manœuvre précédait généralement l’accostage, les avirons étaient alors posés à l’intérieur sur le caillebotis verticalement, pelles en l’air, afin que l’accostage se fasse sans que les rames heurtent le ponton. A la fin de l’exercice, la fatigue avait mis un terme à nos velléités d’escapades nocturnes.

Je décidais de mettre à profit, les week-ends de consigne pour partir à l’assaut de l’autre île « Pomègues » encore plus désolée que « Ratonneau » Non ! Décidément ce caillou n’avait rien de passionnant, ce qui n’était pas ruines était des constructions inachevées ou encore des blockhaus encombrés ou à moitié détruits. Ma résolution était prise, j’allai tout faire pour éviter à l’avenir de me faire consigner de nouveau et, rentrer au Mourillon toutes les fins de semaine où j’y retrouverai mes activités continentales.

J’ai haï ce lieu, je l’ai vécu comme une injustice, quelle avait été ma faute ? En me coupant de mes racines, le Frioul a finalisé la rupture entre le gamin et l’adolescent que j’étais devenu. On ne se remet jamais tout à fait d’une telle fracture. Pourtant lorsque 40 ans plus tard j’y fis un pèlerinage, j’ai compris qu’elle était là, la source du grand chambardement et, que tout a basculé avec une seule obsession : devenir le meilleur ! Aujourd’hui, je peux affirmer que ce qui m’a été enseigné sur ce caillou m’a permis de faire face aux situations les plus difficiles qui se sont présentées à moi. Bien plus que du savoir faire, j’y ai appris à essayer.

Doucement j’apprenais mon métier, je devenais plus performant, le paysan se muait en marin. Des nœuds j’en connaissais toutes ficelles (pardon mais je n’ai pas pu résister à ce mauvais calembour), les cordes devenaient « bouts » Les épissures, pommes de Tire-veille et autres bonnets de turc n’avaient plus de secrets pour moi, ils prenaient formes sous mes doigts, à chaque fois plus précis et plus nets, soignant le détail, alignant le toron pour en faire une œuvre unique. C’était le seul moyen de créer.

En moins d’un an, il m’a fallut découvrir un autre monde, acquérir un autre langage. Notre formation couvrait un grand nombre de disciplines outre un enseignement de base de faible niveau : français et math, nous avions des ateliers de matelotage, de menuiserie, d’ajustage, de forge dans lesquels nous apprenions les bases de ces métiers. L’apprentissage de la navigation à la voile ou à la rame donnait au groupe sa cohésion. La théorie concernait plutôt la technologie, mais aussi, les règles de barre et la navigation, la conduite, la description des machines à vapeur et des moteurs Diesels. L’hygiène et la sécurité nous étaient largement dispensées.

Un ex infirmier des Messageries Maritimes, nous instruisit des maladies auxquelles nous aurions à faire face lors de nos voyages en Asie, sur la côte d’Afrique ou pire encore… aux Antilles ! Les symptômes de la Dengue ou de la fièvre jaune, du Palu. et de toutes ces maladies vénériennes auxquelles nous ne pourrions pas échapper.

Les marins ayant navigué aux Messageries Maritimes, mythique Compagnie de paquebots Marseillaise, ont bourlingué sur toutes mers et océans de l’orient. J’ai en mémoire le passage de ces magnifiques paquebots blancs, au large du Frioul, ils nous fascinaient ! Évidemment nos premières demandes d’embarquement étaient pour les Messageries Maritimes, mais les listes d’attente étaient longues et les postes, sans doute, retenus de père en fils ne laissaient que peu de place aux candidats non parrainés. Imaginez ! Du Proche et Moyen orient à l’extrême orient ses paquebots ont parcouraient la Méditerranée, la Mer Noire, et la Mer Rouge, l'Océan Indien et le Pacifique. Autrement dit : Le levant au pied de la coupée. Dans Marseille on pouvait reconnaître les marins des messageries aux bleus de chine qu’ils portaient comme un uniforme.

Moins romantique, Il y avait aussi les bruits de coursives sur les jeux d’argent à bord où certains marins auraient payé des substituts pour effectuer leur quart pendant qu’ils jouaient ou sur le trafic de piastre, qui parait-il, pouvait rapporter des fortunes.

Toussaint, notre instructeur infirmier, baroudeur des Messageries Maritimes, était le seul à porter costume ; un costume gris clair à fines rayures, et à veste croisée qui avait du être confectionné lorsqu’il était un peu plus enveloppé, les bretelles qui tiraient sur ses pantalons laissant apparaître ses chaussettes l’attestaient.  Il se déplaçait difficilement à l’aide d’une canne, aurait-il été victime d’une de ces maladies auxquelles il assurait que nous ne pourrions échapper ? Avec cet accent corse ineffable, il affirmait :

- « Sachez jeune gens que là où vous allez la mettre, je n’y mettrais même pas le bout de ma canne, elle y attraperait des boutons ! Alors, Gelotube et capote vous permettra d’utiliser votre attirail plus longtemps et vous évitera les piqûres d’antiseptique».

Et de nous expliquer comment débusquer ces maladies dites honteuses. De la blennorragie en passant par le chancre mou, et autres crêtes de coq pour terminer par le bouquet final : la syphilis ; il ne nous épargna aucun détail, dessins à l’appui. En nous informant, avec autant de précisions qu’il fut possible, sur ce qui d’après lui ne manquerait de nous arriver, il était parvenu à réfréner nos ardeurs et, le week-end à nous faire regarder nos copines avec suspicion… Qu’il existe autant de risques en un endroit aussi convoité était carrément frustrant.

Il faut croire que pour nombre de mes semblables, même s’ils avaient bénéficié des conseils de Toussaint, n’avaient pas retenus la leçon car dans pharmacopée du bord, les antibiotiques étaient en plus grande quantité que les fournitures prophylactiques.

 

Yves OLLIVIER
TEMOIGNAGE
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